Soleil muet

Le jour où ma mère a disparu, la grande fenêtre du salon béait sur le Néguev.

Je me souviens avoir jeté un oeil dehors, avant de faire quelques pas sur la terrasse. Les carreaux ocre chauffaient la plante de mes pieds. La main en visière, dressée sur mes orteils sales, j’ai regardé en direction de la Mer Morte.

Le mouvement de houle de la lumière, au ras du monde. Les millénaires de mémoire sédimentés entre ciel et reliefs.

Le vent soufflait du sud-ouest, ce jour-là, depuis le Sinaï encore lointain. L’air du désert était si sec que la voix avec laquelle j’appelai Hannah sonna à mes oreilles comme celle d’une étrangère. Sur le chemin qui passe devant la maison, sous le mur de pierres sèches élevé par mon grand-père, la poussière était plus fine que d’ordinaire, plus riche de temps accumulés.

Assommés de soleil, des lézards somnolaient sur les dalles de l’allée.

Tout le matin, j’avais couru sur le dos des collines pour y dénicher les serpents. Ma mère était parti avant que je fus rentrée.

Elle ne reviendrait plus.

***

Pendant deux jours entiers, mon père patienta dans le salon, sans prononcer plus que quelques mots à mon intention, des choses très ordinaires. Assis dans le fauteuil d’Ishmael, il montrait parfois de menus signes d’agitation. Il soufflait fort, murmurait avec agacement, passait d’un geste machinal une main sur son crâne rasé. Cela faisait un crissement doux et régulier, que j’associe encore à lui depuis ces jours étranges, à cette part de lui qui avait réussi à me conserver un peu d’amour.

Mais, le plus souvent, mon père se contentait de fixer un point sur le sol, quelque part entre ses pieds nus et la table basse où reposait un livre ouvert.

Mon père a passé sa vie à chercher toutes les réponses dans des livres.

***

Tout le temps de l’attente, mon père ne mangea presque rien. Je le trouvais toujours à la même place lorsque je m’éveillais au milieu de la nuit, alertée par un bruit familier qui s’était immiscé dans mes rêves : le craquement du tabouret devant le piano d’Hannah, les tous premiers mots d’une chanson yiddish, un sanglot de l’autre côté du mur. Mon père, dans son hébétude renfrognée, me refusait tout réconfort. Je sentais tant de colère en lui que je questionnais ma propre attitude : l’avais-je déçu, une fois de plus ? Y avait-il des paroles que j’aurais dû prononcer ?

Mon visage, encore d’enfant, lui était un rappel déjà douloureux du mystère de sa propre femme.

***

Deux jours passèrent. L’appel dont se languissait Saul Natanel ne vint jamais.

Dans le couloir, le chien pourchassait des chimères sur le carrelage frais.

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